La surimpression à la prise de vue sur négatif moyen format (4,5 x6) est la spécificité de ce travail (1988) me permettant de réécrire l’histoire d’un lieu en destruction (église romane, imprimerie, distillerie …) par l’inclusion d’êtres humains se réappropriant momentanément cet espace.
Trois modèles se sont multipliés pour imprimer ces « palimpsestes ». Les temps de pose ont parfois été différenciés pour chaque modèle selon la nature plus ou moins sombre du fond. Un objectif à décentrement de courte focale a permis de conserver la verticalité du lieu.
« Palimpsestes » a été exposé à La Rochelle, Angoulême, Nice, Tours, Off RIP Arles, et a fait l’objet d’acquisitions par des galeries municipales et privées, artothèques et collectionneurs divers.
Le regard de Dominique Roux, historien de la photographie.
LES PALIMPSESTES DE JEAN-MARIE SICARD
Depuis Niepce, Bayard, la Mission héliographique, l’Égypte de Maxime Du Camp, les vieux quartiers de Paris d’Eugène Atget, les ruines n’en finissent pas de hanter l’histoire de la Photographie, l’imaginaire des photographes.
C’est sans doute qu’elles partagent avec notre médium le même " noème" cher à Roland Barthes "ça a été", la double position conjointe de réalité et de passé. Face à ces vestiges, l’objectif du photographe oscille toujours entre deux types de représentation : la description (l’état des lieux, le constat des dégâts) et la contemplation (la vision nostalgique, la poésie).
Mais il existe une autre voie d’accès aux ruines et c’est celle qu’a choisi d’emprunter Jean-Marie Sicard : l’intervention. Avec son titre (si bien choisi) "Palimpsestes", il annonce d’entrée la couleur : il s’agit pour lui de gratter, d’effacer, d’éliminer l’ancienne trace pour la recouvrir d’une nouvelle.
Transgression photographique qui n’est pas innocente puisqu’elle répond et vient rejouer un autre détournement : celui au XIXe siècle, de la transformation de cette abbaye romane en usine, elle-même aujourd’hui désaffectée.
C’est donc à une double " profanation " de ce lieu, voué au Culte, puis au culte du travail et de la production que se livre Jean-Marie Sicard en y mettant en scène et en chorégraphiant la danse joyeuse, ludique et dionysiaque de jeunes éphèbes aux corps chauve-souris qui volent, se cherchent, s’évitent, s’enjambent, se chevauchent, apparaissent, disparaissent, passent murailles, portes et fenêtres au gré des courants d’air, des zones d’ombres et de lumières, comme autant de photogrammes envahissant l’espace et le ponctuant.
Chaque image de la série agit comme une figuration d’absence, un rendez-vous avec ce qui résiste - la matière, le réel, la ruine - et qui par la pose, l’exposition, l’insistance de la surimpression rend possible, impossible, aléatoire. Comme si le photographe ne faisait momentanément apparaître ces formes évanescentes que pour les faire plus sûrement disparaître.
Car les images de Jean-Marie Sicard ne sont pas de celles que l’on épuise d’un coup d’œil. Exigeantes, elles nous mettent aux pieds de ces murs, en demeure de gratter à notre tour pour découvrir l’image latente enfouie dans l’émulsion, le sans dessus-dessous des choses.
Dominique ROUX
Toulouse, juin 1990.
